Je prends ma retraite

Publié le par Yves LEMESLE

lemesle.jpgAu début, c'était sympa. Que dis-je, c'était très sympa. Je ne rechignais pas à me lever et le petit déjeuner avait ce jour là une saveur particulière. Je prenais plaisir à m'habiller et à préparer mon sac. Nous avions fondé entre potes une équipe de football. Chaque dimanche matin, nos muscles et notre technique faisaient l'admiration des joggeuses. Après deux heures d'efforts, nous ne savions plus très bien quel était le score. C'était peut-être huit à dix ou neuf à cinq. Peu importait puisque chaque dimanche à 11 h 55, notre capitaine annonçait : "But en or !". Je retrouvais le football que j'aime, celui de mon adolescence, quand la victoire comptait moins que le plaisir d'être ensemble. Puis vint le premier accroc. Lorenzo, notre recrue italienne se blessa gravement. Je me rassurai en me disant qu'il était fragile. Puis le lochois nous annonça  que l'arthrose avait eu raison de ses genoux. Ce sont aussi les genoux (ainsi, avouons le, qu'un agenda très chargé) qui terrassèrent le Ch'timi. Tandis que Chaussettes roses et Max la Clope étaient de moins en moins matutinaux, d'autres joueurs avaient rejoints l'équipe. Petit à petit l'état d'esprit changea. On se mit à parler tactique sur le terrain, sujet jusque là réservé au comptoir du bistrot. Nos nouvelles recrues avaient la culture de la victoire. Les contacts devinrent plus appuyés, les chocs plus rudes, les risques plus prégnants. Un grand gars dégingandé, absolument bête et de surcroît brutal était devenue la cible de notre ironie. Acharné à conquérir la balle, obnubilé par le score, ce jeune homme était en total décalage avec notre esprit libertaire et pacifique. Alors, le jour où il envoya mon fils par terre à défaut de l'envoyer à l'hôpital, j'avoue que je pris peur. Ce que je voulais, c'était jouer avec mes potes, pas avec des bourrins. J'aspirais à transpirer, à tâter du ballon et à chambrer mes copains, mais pas à me blesser bêtement parce qu'un abruti pensait jouer la finale de la coupe du monde. Dans ces conditions, après moult délibérations, j'ai décidé de prendre ma retraite footballistique. Dorénavant, le dimanche matin, j'irai au marché et je préparerai le pique-nique. 

Publié dans Journal

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